Johannes Vermeer
1632 - 1675
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Mauritshuis, Den Haag
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Jeune fille a la perle
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L'aube d'une vie
Texte de Gwendoline CANU
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Dans les combles du troisième étage, j'aime ouvrir les malles de ma mère.
Ces dentelles, ce velours, ces bijoux sont tout ce qui me reste d'elle aujourd'hui. Depuis dix ans que les fièvres l'ont emportée, ses vêtements parfumés à l'aspérule attendent son retour. Je déplie lentement les écharpes colorées, les foulards, les cols blancs empesés, les manchettes chargées de dentelles, les mouchoirs brodés. Les accessoires exotiques qui montrent que ma mère a suivi la mode turque me font sourire. Comme j'aime le bleu de ce turban dont elle devait se coiffer!
L'unique fenêtre de cette pièce aux poutres noires est ouverte sur les quais. Un rayon de soleil vient enflammer les ocres et les orangés des étoffes. Les cris des enfants qui jouent et se battent dans la rue de Kethel montent jusqu'à moi, étouffés. En caressant une coiffe bleutée par l'empois, je songe à mes deux frères que mon père a envoyés au Cap de Bonne Espérance avec un groupe de fils rebelles. Jan et Cornelis étaient étudiants dans une "école illustre" de Rotterdam. Entraînés par d'autres, ils passaient la journée à boire et à jouer dans les tavernes de la ville. Quand mon père a appris leur conduite, il leur a imposé ce voyage au Cap où ils cultivent maintenant la terre de cette colonie fraîchement fondée. Que reste-t-il à mon père si ce n'est l'espoir de me marier à un riche négociant? Veuf, déçu par ses fils, il connaît en plus des revers de fortune. Héritier d'une brasserie prospère, il est aussi propriétaire de plusieurs tavernes de Delft. Mais la concurrence des grandes villes dans la fabrication de la bière est féroce et mon père est préoccupé par la situation financière de notre maison. Peut-être devra-t-il fermer la brasserie...
C'est pourquoi je vais me fiancer avec Hendrick, le fils d'un armateur. Avant de participer à la gestion de l'entreprise paternelle, il a fait de longues études à Leyde. Il a voyagé aussi, en Angleterre, je crois. Dès qu'il m'a vue, Hendrick a accepté l'union de nos noms. Il est plus âgé que moi qui suis encore mineure et il a besoin d'une femme pour s'occuper de la grande maison que son père lui a donnée. J'écoute les enfants et je pense que dans quelques années, les miens se mêleront à eux. Un petit miroir vénitien me renvoie mon image immobile. Je ressemble à ma mère. Elle non plus n'a pu choisir son mari. Peut-être mourrai-je aussi jeune qu'elle... Et le temps continuera à couler comme l'eau de la Meuse.
Pour mes noces, mon père a demandé à Johannes Vermeer de peindre mon portrait. Il a très bien connu son père qui tenait la taverne Mechelen sur la place du marché. C'est sous ces combles que l'idée m'est venue: pour la pose, je porterai le turban bleu à la mode turque, surmonté d'un foulard jaune qui retombera sur mes épaules. J'ai ouvert le coffret et sorti deux grosses perles en forme de goutte que j'ai accrochées à mes oreilles. Dans le miroir, mon reflet m'a surprise: on dirait que mon âme s'incarne dans cette perle, pure, lisse et sans désir.
Vermeer a accepté tout de suite. Il m'a parlé des boucles d'oreille qu'Isaac a envoyées à Rébecca, comme symbole de chasteté. Qu'elles me préservent du mal et éclairent ma route de leur éclat!
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Μου φάνηκεπολύ όμορφο κείμενο,
γι αυτό το δίνω.
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